mercredi 26 octobre 2016

Sommeil sans repos.




L'image que renvoyait le miroir était cauchemardesque et alarmante. Le teint blafard, le visage creusé par les cernes, il n'était pas vraiment agréable à voir, ni à entendre d'ailleurs. Sa voix rauque et cassée par la fatigue glissait dans la pièce comme sur du papier de verre, avec un tel effet abrasif qu'il se donnait mal à la tête rien qu'en s'écoutant parler. Il ressemblait à une bête, un monstre. Mais au moins les monstres, eux, n'existaient pas. Il savait également qu'il ne tarderait pas à s'effondrer d'épuisement, il le redoutait, mais paradoxalement il le souhaitait encore plus. Sa santé mentale était elle-aussi en train de décliner. Devant son reflet, ses yeux se remplissaient de larmes de désespoir et ses lèvres s'étiraient en un sourire azimuté. Il recherchait la sensation d'avoir un corps reposé, des pensées organisées, ce sentiment même de répit qui lui échappait depuis de nombreux jours. Il devait faire appel à de vagues souvenirs pour se rappeler d'une quelconque impression de sérénité dont sa chair était autrefois emplie. Parce que cela faisait un certain temps, une période dont la durée lui était inconnue et à laquelle il aurait assigné des mois entiers s'il ne devait écouter que sa morosité et non sa rationalité, qu'il ne s'était pas oublié dans la douceur de ses draps, bercé par la sensation de bien-être qui le submergeait lorsque ses yeux se fermaient et que son esprit s'envolait pour un autre univers, une dimension singulière bien plus plaisante que celle où il demeurait.

Ce qui étonnait le plus les personnes à qui il confiait sa détresse, c'est qu'il dormait plus que la normale. Il ne mangeait plus le soir, snobant toute interaction avec le monde extérieur dès que l'aiguille de son horloge murale marquait les dix-huit heures, préférant se replier sur sa couche pendant de longues heures. Mais rien n'y faisait. Il se réveillait chaque jour encore plus fatigué que le précédent, son corps entier en proie aux douleurs, rigide et crispé.  Les couvertures disséminées sur le plancher et les oreillers égarés aux quatre coins de la pièce étaient à l'image du jeune homme : en pagaille. C'était comme s'il courait un marathon en direct de sa chambre sans qu'il ne soit lui-même au courant, un endroit si étroit qu'il ne faisait que se cogner dans les rares mais anguleux meubles. Ses jambes rompues le tiraient et peinaient à le soulever, à le tenir debout et éveillé, et cédaient occasionnellement sous son poids. Quand bien même il arrivait à se déplacer, c'était avec lourdeur et lenteur qu'il traînait sa chair, puisant toujours un peu plus dans ses réserves d'énergie précieusement enfouies. Il pouvait sentir chaque muscle présent dans ses membres inférieurs, était presque apte à en faire le décompte à chacun de ses mouvements saccadés.

Et ces cauchemars effroyables qu'il ne pouvait éviter, qui se répétaient chaque jour, le dévoraient un peu plus chaque soir. Allongé sur son matelas, droit comme une planche, il observait l'atmosphère environnante, chaque fois identique. Il s'agissait toujours de sa chambre, ni jolie ni enivrante, son manque d'attrait était encore plus flagrant dans la nuit noire. Sa position ne lui permettait de ne voir uniquement que ce qui se trouvait en face de lui. Une fenêtre recouverte d'une cascade de fins morceaux de tissus transparents dégringolant sur le mur, flottant dans les airs à leur fin, laissait passer quelques imperceptibles éclats de lumière extérieurs, entravant l'opacité totale de la minuscule pièce. Au milieu de la confusion, des bruits lui parvenaient faiblement aux oreilles, le craquement du plancher sous les pas prudents d'un être. Les clapotis étaient très serrés, si bien qu'il s'agissait soit d'une grande armée de lutins totalement désynchronisée, soit d'un mille-pattes géant doté d'une certaine rapidité. Le crépitement traversait la pièce, allant à sa gauche, puis à sa droite, et ralentissait, jusqu'à s'éteindre complètement devant lui. Deux bras se hissèrent sur le rebord lointain du lit, émettant une pression bien trop forte pour qu'il s'agisse d'un quelconque petit elfe ou répugnant insecte. Deux points luminescents, brûlants comme deux soleils dans l'approximative noirceur, scrutaient sa silhouette de haut en bas. La créature le surplombait indéniablement de toute sa hauteur, une silhouette charbonneuse longiligne dont seul les trois quarts logeaient sur la natte. La chose le regardait droit dans les yeux, comme s'il pouvait lire dans les tréfonds de son âme chacune de ses peurs enfouies profondément dans son inconscient. Des sons étrangers, évoquant vaguement un jappement animal, sortaient dangereusement de sa bouche déformée par la colère, ou peut-être par la faim, si l'on en jugeait par la façon dont il le dévorait des yeux. Soudain la créature se retira, reculant hâtivement, mais pas définitivement. Elle emprisonna les jambes de l'homme de ses mains gargantuesques, ses doigts pénétrant presque dans la chair tellement son étreinte était imbibée de force, une puissance démoniaque qui l'attirait vers elle. Le corps de l'être humain était constamment paralysé, ne pouvant se débattre, les yeux toujours rivés sur la scène, dont ils ne pouvaient se détourner. Ne pouvant faire bouger la carcasse de l'homme ne serait-ce que de quelques millimètres, elle abandonna rapidement, s'esquiva dans un coin de la pièce, emportant couvertures et objets en tout genre sur son passage en un bruissement assourdissant. Elle se recroquevilla sur elle-même et se fonda dans les ténèbres jusqu'à y disparaître complètement, ne laissant comme trace de sa présence qu'une confusion à la fois éthérée et matérielle. Et les paupières de l'homme s'abaissèrent tandis que la pesanteur macabre de l'air s'évaporait, laissant de nouveau place au silence et à la noirceur la plus totale.

Il avait recherché une explication à ce phénomène anormal, s'interrogeant sur la signification de ces oppressants songes. Il en avait déduit que c'est ce que certains appelaient "paralysie du sommeil". Le cauchemar du garçon n'était apparemment qu'une hallucination, provoquée par la terreur et l'angoisse, engendrées par l'éveil de son cerveau face à l'absence de réponse de son corps et la paralysie totale de celui-çi. Pourtant, l'amas de taches bleues et de griffures encore rougeâtres croissant présent sur les jambes du jeune homme évoquait quant à lui à une présence réelle et surnaturelle, rendant ces évènements inexplicables. Et si les monstres existaient, finalement?

2 commentaires:

  1. Texte sincèrement efficace et bien écrit, de bons mots, et une question finale qui soulève une sacrée question, toujours passionnante.

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